CHAPITRE 1

PARIS, ZONE SÛRE

Lundi 15 janvier 2120

 Adham

 « En 2020 la face du monde a changé. On peut dire que cette année a marqué un tournant dans l’histoire de l’Humanité. Depuis quelques années mouvements sociaux et crises économiques, troubles politiques avaient fait du monde une poudrière prête à exploser… » Perdu dans ses pensées Adham n’écoutait plus le prof. En fait, l’IA qui lui donnait son cours d’histoire l’avait perdu depuis longtemps. Dur de s’intéresser à des concepts si abstraits qu’ils paraissent inconcevables. Il venait de fêter ses 18 ans. La soirée d’hier lui avait donné mal à la tête. Pas la gueule de bois, non, musulman, Adham ne buvait pas une goutte d’alcool. Il ne savait d’ailleurs pas à quoi cela ressemblait, il n’en avait jamais bu. Non, ce qui lui avait donné mal à la tête c’était cette multitude de publicités plus lumineuses les unes que les autres qui s’affichaient sur les murs de son appartement. Cela a duré toute la soirée. D’habitude, les pubs s’arrêtent vers 22h. Hier soir, c’était spécial, Adham venait d’avoir 18 ans et il ne fallait pas laisser passer cela. Il s’est vu proposer des réductions sur les derniers écrans 3D, les rations alimentaires journalières et il a même reçu en cadeau le dernier masque de réalité virtuelle avec capteurs et diffuseurs olfactifs. Le top du top, vous pouviez commander une pizza et sentir l’odeur du fromage et du four à pierre !

Balayant le cours en ligne d’un revers de la main sur son écran holographique, Adham réalisa qu’il n’avait pas encore mangé. Faisant une entorse au budget quotidien, il se commanda une pizza. Il faut croire que le marketing est efficace ! Il recevrait sans doute une remontrance de ses parents pour ne pas avoir suivi le cours en entier, mais tant pis ! Il ne pouvait plus supporter ces monologues qui lui montraient un monde qu’il ne comprenait pas. Son monde à lui, c’était son box. 12 mètres carrés desquels il n’était que très rarement sorti. Les seules images du monde extérieur qu’il connaissait étaient celles qui étaient projetées sur les murs de son appartement lors des séances de voyages virtuels. Des images de l’Ancien Monde, des montagnes, des déserts, toujours les mêmes, son programme lui proposait quatre excursions. Pour en voir plus, il fallait payer très cher et il ne pouvait pas se le permettre. Il ne bénéficiait que de l’allocation universelle que distribuait le gouvernement central.

Il entendit une sonnerie brève suivie du ronronnement caractéristique des drones de livraison. Sa pizza était arrivée ! Il s’installa confortablement et lança le film qu’il avait spécialement loué pour la soirée. La pièce se plongea dans le noir et les murs de son appartement affichèrent les premières images. Le film durait depuis quelques minutes quand, soudain, l’écran devint noir. Puis cela débuta.

 Leyya

 Leyya était épuisée. Toute la journée, elle avait cherché ce qui avait bien pu déclencher cette panne gigantesque des générateurs d’air des box du quartier Est. Des milliers de lignes de code passées en revue depuis son poste de travail dans son box. Des heures sans lever la tête de son écran. Et tout ça pour rien ! Quand elle dirait à l’Autorité qu’il faudra envoyer quelqu’un sur site, elle n’imagine pas leur réaction… Elle l’accuserait d’abord de ne pas avoir assez cherché, d’avoir bâclé son travail. Non, il fallait continuer. Le quartier Est était habité par les élites. Il était hors de question que leurs infrastructures ne fonctionnent pas. Ils avaient dû évacuer plusieurs box déjà et l’Autorité commençait à s’impatienter. Preuve en étaient les nombreuses notifications que l’IA lui envoyait depuis deux heures pour lui mettre la pression. Elle s’accorda deux minutes de pause pour boire son dixième café de la journée, se remit au travail. Les lignes de code défilaient, rien ne semblait clocher. Pourtant, Leyya sentait qu’elle passait à côté de quelque chose de fondamental. Quelque chose n’allait pas dans ce code. Impossible pourtant de dire quoi. Se prenant la tête entre les mains, elle se força à se calmer. Elle avait dû sacrifier tellement de choses pour obtenir ce poste. Le jour où on lui avait supprimé l’Allocation universelle, à l’aube de ses 21 ans, elle avait dû trouver un moyen de payer le loyer de ce box minable dans lequel elle habitait. Un de ses talents étant l’intrusion dans des systèmes protégés, elle avait utilisé ce don inné pour son intérêt personnel. Elle n’avait manqué de rien pendant quelques années, puis, un jour, dans l’euphorie d’avoir réussi à vider un compte de la banque Zelder sans se faire prendre, elle avait laissé une porte ouverte. Il ne fallut que 2 minutes aux drones d’intervention pour fracasser sa porte et l’interpeller. Elle avait été jugée puis condamnée à 3 ans de non-connectivité. Elle continuerait à habiter son box, mais ne serait autorisée à se connecter au Réseau uniquement pour effectuer des tâches d’intérêt général. Une fois accomplies, son matériel se déconnecterait et les écrans resteraient noirs. Aucune activité récréative, aucune lecture ne lui seraient autorisées. Sauf si elle acceptait de travailler pour l’Autorité. Son génie ne laissait pas le gouvernement central indifférent et il lui proposait de commuer sa peine en poste à plein temps. Son travail consisterait à éviter toute tentative d’intrusion dans le système contrôlant les générateurs d’airs de la ville. Les juges, ne lui connaissant aucune activité politique ni dissidente ne s’étaient pas opposés à la commutation de la peine. Néanmoins, elle était très surveillée et l’Autorité ne lui laissait aucun répit. Cela durait depuis plus de 5 ans et elle ne voyait pas d’issue.

Soudain, les lignes de code disparurent de ses écrans, ceux-ci devinrent noirs. Puis cela débuta.